Très cher Maître,
Vous avez été sollicité par Olivier Konaté, le responsable du « journal » le Bazooka, pompeusement désigné comme un tabloïd satirique indépendant, aux fins de défendre ce dernier, traduit en correctionnel par les très respectables patrons de Gabon Review et Gabon Mediatime.
En cela, vous ne faites que votre job. Cependant, permettez-moi de revenir sur un élément de votre point de presse de samedi dernier.
Au cours de celui-ci, vous disiez vouloir l’accalmie, dans une corporation en proie à des faits inédits, et dont la résonance ne s’estompe pas depuis. Vous êtes au fait de l’actualité nationale, sept patrons de presse ont été présentés comme des « mercenaires » de la plume, dans une corporation où l’éthique et la déontologie restent les maîtres mots, et où la probité morale demeure une exigence contre laquelle rien ne peut absolument être troqué.
Pour rédiger son papier, du reste écrit à la hussarde, votre client, monsieur Olivier Konaté, prétend s’être appuyé sur les révélations de Christian Patrichi Tanasa Mbadinga, l’ancien patron de la Gabon Oil Company (GOC), et Ike Ngouoni Aila Oyouomi, l’ancien Porte-parole de la Présidence de la République, qui auraient tous deux déclaré que les responsables mis en évidence dans la Une de son journal auraient indûment perçu des fonds occultes de leurs institutions respectives.
Très cher Maître,
Parce que vous êtes l’un des acteurs les plus respectés du barreau Gabonais, vous savez comment fonctionnent nos institutions. Tout est absolument une affaire de procédures.
Chevronné comme vous l’êtes, vous avez dû jeter un œil dans le plumitif tenu par le greffier lors des audiences de Tanasa et Ngouoni. Que dis-je !? Vous étiez même le Conseil de l’un d’eux;
et donc vous savez comme moi qu’aucun des patrons désignés comme « mercenaires », et ayant profité de l’argent issu des détournements des fonds publics de la clique à Brice Laccruche Alihanga (BLA), l’ancien messager intime d’Ali Bongo Ondimba, n’a été cité, comme prétendu par le machin d’Olivier Konaté.
Cela dit, tout devrait vous paraître plausible. Si ces anciens hauts cadres de la République n’ont jamais rien dit de tel, pourquoi donc avoir monté une telle affaire, à la fois ridicule et sordide?
Très cher Maître,
Permettez que je vous en donne la raison. Pour avoir été le conseil de Patrichi Tanasa Mbadinga, que vous connaissiez d’ailleurs bien avant que sa vie ne virevolte comme elle l’a fait avec l’affaire Scorpion, vous savez pertinemment qu’au cours de cette audience, qui rentre à coup sûr dans les annales de l’histoire du Gabon, trois hautes personnalités, proches du
Chef de l’État ont été nommément citées.
Il s’agit bien de Noureddin Bongo Valentin, le fils du Chef de l’État, de Jessye Ella Ekogha, Porte-parole de la Présidence de la République, et de Sylvia Bongo Ondimba, première dame, entre autres.
Le premier cité aurait bénéficié d’un peu plus d’un milliard de primes pour on ne sait quel travail abattu. Le second aurait été le convoyeur des fonds occultes qui ont transité entre la Gabon Oil Company (GOC), et la Fondation Sylvia Bongo Ondimba, pendant que la troisième personne l’a été pour les faits de concussion, de commanditaire des actes de détournements pour lesquels Tanasa et Ngouoni ont été lourdement condamnés.
Très cher Maître,
Vous le savez mieux que quiconque, nos institutions sont restées étrangement sourdes et aveugles, ce malgré la gravité des faits révélés devant les juges.
Dans un pays où les institutions fonctionnent normalement, en toute indépendance, ces personnalités auraient été entendues. Mais les choses ne sont ainsi faites qu’au Gabon, le Chef de l’État est aussi Président du Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Comment, même dans un contexte de parodie, convoquer à la barre la première dame et son fils dans une affaire de détournements de deniers publics? Il faut avoir perdu l’esprit.
Tel est le vrai problème qui se pose aujourd’hui. Et dans un pays normal, des plateaux spéciaux auraient dû se tenir, le service public aurait mis à contribution les professionnels du droit et de ses procédures, toutes philosophies confondues. Mais comme moi et beaucoup d’autres, vous savez que rien n’a été fait.
La presse libre et indépendante, taxée de presse de l’opposition, a eu le courage d’aborder les questions sensibles, de traiter cette actualité aux fins de donner aux populations l’information juste, de même que les interprétations inhérentes, le tout, sans passion.
Mais Jessye Ella Ekogha, qui a depuis deux ans déjà monté des sites internets bric à brac, acquis quelques tabloïds évanescents pour une bouchée de pain, et prospéré dans des actes de diffamations et d’injures publiques contre certains patrons de presse, s’est plu à fignoler un tel scénario.
Le Conseiller spécial d’Ali Bongo Ondimba a monté cette histoire pour distordre les faits et manipuler une fois de plus l’opinion. La publication du lance-roquettes est une manœuvre occulte de diversion. Souiller la presse par ses principaux acteurs, pendant que l’opinion oublie les cas Jessye Ella Ekogha, Noureddin Bongo Valentin et Sylvia Bongo Ondimba.
Les plaintes conjointes de Gabon Review et Gabon Mediatime sont donc pour rétablir la vérité, d’une part, et ôter toutes les salissures que Jessye Ella Ekogha s’est plu à déverser ces deux dernières années dans notre corporation, jadis respectable, d’autre part. C’est ainsi que je considère cette action, tout au moins.
Aujourd’hui, l’ensemble de la corporation attend avec impatience les preuves irréfutables que le « mercenaire » du Bazooka prétend détenir, et non pas des documents grossièrement photoshopés, qui circulent un peu partout sur les réseaux sociaux.
Lors de notre audience, dans l’affaire m’opposant à Pierre Claver Maganga Moussavou, l’ancien Vice-Président de la République, vous avez déjà été dupé par une manœuvre du genre.
Ne vous laissez plus abuser! Votre client doit être capable de vous convaincre d’abord vous.
Et puis, très cher maître, je vous sais respectueux de l’ordre et de la mesure, pour ne pas laisser cette gadoue entacher votre magnifique toge, acquise au prix de l’effort et du mérite.
Au lendemain de l’indigne et diffamante parution du Bazooka, certains d’entre nous ont essayé de joindre monsieur Konaté. Malheureusement, comme à son habitude, après un coup tordu dont il redoute les effets, il est resté indisponible sur plusieurs jours. Un comportement de voyous, qui lui a du reste toujours été reproché.
C’est d’ailleurs contre toutes ces méthodes de brigands que nous nous insurgeons, et pour lesquelles nous avons sans cesse attiré, durant tous ces derniers mois, l’attention de la Haute Autorité de la Communication (HAC), notre régulateur.
Monsieur Konaté est resté assez longtemps dans cette corporation pour savoir qu’il est interdit de porter atteinte à l’image d’un confrère. Nos lignes éditoriales peuvent nous opposer, certes, mais le sens du respect que nous devons à ce noble métier doit prévaloir sur toutes les divergences.
L’appel à l’accalmie de Monsieur Konaté sonne comme une plaisanterie de mauvais goût. On ne peut avoir autant salopé, allumé le feu et se proposer de jouer les pompiers. C’est profondément cynique.
Et si accalmie il devrait y avoir, nous n’accepterons de baisser les armes qu’à deux conditions sinon rien.
La première : que Jessye Ella Ekogha comprenne que son rôle est celui de s’occuper de l’image du Président de la République et non de truander la presse.
La deuxième : que tous les vassaux du Porte-parole de la Présidence de la République, le même Jessye Ella Ekogha, libèrent notre corporation.
En attendant l’audience,
Respectueusement vôtre, Maître.
Par Stive Roméo Makanga, journaliste, écrivain, directeur de la publication de KongossaNews
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